MARGUERITE BOURGEOYS ET LA VIE VOYAGÈRE (17 AVRIL 1620/12 JANVIER 1700)

(Portrait esquissé par Pierre Le Ber quelques heures après la mort de soeur Bourgeoys.1700. Huile sur toile. Collection Centre Marguerite-Bourgeoys. Congrégation de Notre-Dame. Montréal.)

(Vitrail. Jeanne Le Ber. Marguerite Bourgeoys. Katéri Tékakwitha. Basilique Notre-Dame)

(Huile sur toile. Les deux tours du fort de la montagne. Georges Delfosse. 1869-1939. Photo: Pascalle Bergeron. Copyright: Univers culturel de Saint-Sulpice)

(Une des deux tours du fort de la montagne à l’entrée du Grand Séminaire de Montréal. Photo: Ville de Montréal 2006. Grand répertoire du patrimoine bâti de Montréal)

(La célèbre chapelle de Notre-Dame-de-Bonsecours et le musée Marguerite-Bourgeoys adjacent. Tourisme Québec)

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« Nos fondateurs nous apparaissent grands, non seulement par le labeur qu’ils mettent dans leur oeuvre, labeur effrayant, mais aussi  et peut-être plus, par les lointaines visées qu’ils y renferment. Parce qu’ils travaillent pour un long avenir, tous les jours ils apprennent à se dépasser. »

-le chanoine Groulx. Notre Maître le Passé. 1924.

En ce 12 janvier 2017 comme à tous les ans, au Québec et à certains endroits du monde, nous commémorons la fête de sainte Marguerite Bourgeoys (1620-1700), la première éducatrice de la colonie de Ville-Marie et la fondatrice des soeurs de la Congrégation de Notre-Dame. Nous en prenons prétexte pour vous présenter un court récit de sa vie voyagère et missionnaire.

Né à Troyes (France) le vendredi saint 17 avril 1620 et baptisée le même jour, elle meurt de l’autre côté de l’océan Atlantique le 12 janvier 1700 à Ville-Marie après quarante-sept (47) années de loyaux services. Elle est avec Paul Chomedey, sieur de Maisonneuve et Jeanne Mance l’une des trois figures fondatrices incontournables de ce qu’on a appelé la folle entreprise.

On peut saluer le fait qu’elle est la seule des trois qui nous ait laissé des traces écrites des premières décennies des origines de Montréal. Les Écrits autographes  comme on les appelle n’avaient pas pour premier objectif de magnifier leur auteure pour sa propre postérité mais ils étaient mus par le souci de contrer un prétendu relâchement dans la vie de la communauté et de donner l’exemple de la vertu de ténacité. Elle a aussi entretenue une correspondance avec Dollier de Casson (1636-1701), supérieur de Saint-Sulpice en Nouvelle-France et, à ce titre, seigneur de l’île de Montréal, architecte et historien et finalement l’auteur de la première Histoire du Montréal (1672). Puis, secondairement, elle eut un échange épistolaire avec Monsieur Tronson, supérieur de Saint-Sulpice à Paris.

Un autre élément important et intéressant qui nous permet d’avoir accès à celle que les gens de Ville-Marie appelaient affectueusement « la bonne soeur Bourgeoys », c’est qu’en plus d’avoir en main une sorte de testament autographe de l’une des saintes du Québec, les historiens et les archivistes peuvent, dans leur recherche, prendre aussi appui sur une biographie publiée par un contemporain de Marguerite Bourgeoys, en la personne de son confesseur.

En effet, un dénommé Charles de Glandelet (1645-1725) est l’auteur de La vie de la soeur Marguerite Bourgeoys dite du Saint-Sacrement, institutrice, fondatrice et première supérieure des soeurs séculières de la Congrégation de Notre-Dame établie à Ville-Marie en L’Isle de Montréal en Canada. Une première rédaction du manuscrit est connue 1701 et est suivie d’une amplification en 1705.

Résumons très sommairement la vie de la très jeune Marguerite à Troyes. Dès son enfance et son adolescence, Marguerite Bourgeoys qui est le sixième enfants d’une grande fratrie de douze aime se réunir avec des filles de son âge. Elle avait la facilité et la faculté de réunir autour d’elle des filles pour travailler ensemble. Ainsi, on ne peut être surpris que dans sa vie d’adultes, elle cherchera à établir les mêmes schèmes de vie sociale mais cette fois-ci dans une expérience de vie et d’engagement auprès des autres à l’intérieur d’un cadre religieux et spirituel.

C’est un dimanche 7 octobre 1640 lors d’une procession au couvent des Jacobins de Troyes en l’honneur de la Vierge du Rosaire que Marguerite connut une expérience de conversion profonde et définitive. En prenant la rue, le cortège passe devant l’abbaye de Notre-Dame-aux-Nonnains. Traversant l’entrée principale qui par la splendeur de son portail connu justement sous le nom du Beau Portail, Marguerite vit une statue de pierre de la Vierge Marie. Un « échange de regard » fait naître en Marguerite un temps d’intimité indescriptible à vrai dire de nature spirituelle et mystique. C’est le début d’une transformation intérieure où la jeune fille de Troyes se donne complètement et définitivement à Dieu.

Sous la direction spirituelle du père Gendret, confesseur des Carmélites de Troyes, celui-ci lui fait connaître son intention d’un projet pour honorer la vie voyagère de Marie, mère de Jésus (la Visitation à Élizabeth). Cette vie voyagère prendrait la forme d’une communauté de filles séculières, qui sans tout l’attirail du vêtement religieux et de la clôture du cloître, seraient tout de même d’authentiques religieuses.

Marguerite décide d’entrer dans la congrégation des externes, à l’époque la directrice de la Congrégation est nul autre que Louise de Chomedey, la soeur du gouverneur de Ville-Marie. Celui-ci, en 1652 se trouve en France pour tenter de lever une recrue de près de 200 hommes selon ses intentions initiales. Il passe par Troyes pour aller saluer sa soeur. Et comme un plus un font deux, Louise de Chomedey en profite pour présenter à son frère la jeune Marguerite Bourgeoys. Le gentilhomme la sollicite pour s’embarquer pour la Nouvelle-France afin de faire oeuvre d’éducatrice dans la colonie de Ville-Marie autant auprès des enfants autochtones que des futures enfants des colonisateurs.

Après avoir prié et consulté, Marguerite Bourgeoys opte résolument pour l’embarquement vers Ville-Marie. Qu’on se le dise, en France, dans les milieux lettrés et concernés, on lit avec attention les récits des Relations des missionnaires jésuites. Donc, on connait les obstacles et les périls qui nous attendent. On n’est pas naïf ou insouciant face à la situation critique et violente en Nouvelle-France.

De plus, les traversées océaniques ne sont pas toujours de tout repos. Et l’on peut dire que la jeune Marguerite a cette fois-ci connu son baptême de mer et tout un baptême. En effet, la peste a fait des ravages au sein de l’équipage et a réclamé son lot de morts, huit hommes au total sans oublier les malades qui sont préoccupants. Il y eut de la grogne avec danger d’une mutinerie. Marguerite et les membres de l’équipage ont failli périr en mer. Le Saint-Nicolas a dû rebrousser chemin et revenir à Saint-Nazaire pour réparation.

Selon les mots de Dollier de Casson, Chomedey ne tarit pas d’éloge pour sa nouvelle recrue de Troyes auprès de Jeanne Mance et il n’est pas peu fier d’un autre fruit venant de la Champagne. Au final, Marguerite Bourgeoys arrive à Québec le 22 septembre 1653 puis à Ville-Marie en novembre. Elle doit attendre au moins quatre ans avant d’avoir accès à une école ainsi que d’une recrue d’élèves digne de ce nom.

Alors, entre-temps que faire d’utile? À défaut d’enseigner aux enfants, elles s’occupera des adultes. On rapporte qu’elle se fait la grande soeur des colons. Elle sait tirer son épingle du jeu. Elle s’occupe du lot des Filles du Roy et anime en quelque sorte une agence matrimoniale. Elle est perspicace et elle connaît son monde.

Parallèlement à tout cela, on ne peut passer sous silence son projet de faire construire une chapelle dédiée à Notre-Dame-de-Bonsecours. On sait que Pierre Chevrier, baron de Fancamp, l’autre homme de l’ombre du projet de Ville-Marie avec Jérôme Le Royer, lui avait remis une certaine somme d’argent ainsi qu’une statue de Notre-Dame-de-Bonsecours.

Dès 1657, Marguerite Bourgeoys sollicite quelques colons afin d’ériger la première chapelle Bonsecours celle en bois. Puis, en 1668, l’on procédera à l’érection de la chapelle en pierre (d’ailleurs c’est la première église en pierre de toute l’île de Montréal). Incendiée en 1754. Rebâtie en 1772. Modernisée entre 1885 et 1888. Puis restaurée vers la fin du XXè siècle, la chapelle historique et patrimoniale Notre-Dame-de-Bonsecours toujours vent debout contre toutes les adversités de l’histoire, face au fleuve, ce bâtiment est un témoin-clé de l’origine de Montréal, et de plus, elle est ouverte au public depuis le 24 mai 1998. Un musée Marguerite-Bourgeoys y est adjacent.

Finalement en 1658, une première fournée de gamins et gamines en âge de scolarisation commence leur vie d’écolier dans une étable. Hé oui! Une étable, lieu temporaire gracieuseté du gouverneur Maisonneuve. Puis le projet d’enseignement se développe et les soeurs voyagères vont là où se trouve la marmaille. C’est ainsi, qu’il y aura différente « succursales » dont l’une qui nous intéresse un peu plus en tant que Montréalais. En effet, en 1678, la congrégation de Notre-Dame établit une mission éducative au village amérindien de la Montagne. Après avoir enseignées quelques deux décennies dans des cabanes d’écorce, à la fin du siècle grâce aux bons offices de M. Vachon de Belmont, sulpicien, les soeurs voyagères peuvent habiter et enseigner dans les tours du Fort que l’on peut apercevoir encore sur le terrain du Grand Séminaire de Montréal.

Et puis le temps fait son temps. En décembre 1683, Marguerite âgée de 63 ans a l’intention de démissionner afin de passer le flambeau à des plus jeunes. Mais qui dit flambeau dit feu. Malheureusement, dans la nuit du 6 au 7 décembre, un violent incendie détruit non seulement la maison-mère mais fait périr les deux candidates pressentie à la succession. Marguerite Bourgeoys devra encore pour dix ans faire office de timonière à la barre de sa fondation. Finalement, en 1693, Marguerite peut se permettre de démissionner et soeur Marie Barbier est élue supérieure.

Si au début de sa vie en terre de Ville-Marie, Marguerite s’était liée d’amitié spirituelle avec Jeanne Mance, vers la fin de sa vie, elle vécut un rapprochement avec une fille du pays de la célèbre famille Le Ber. C’était une autre Jeanne. Jeanne Le Ber (1662-1714), fille de Jacques Le Ber, la recluse de Ville-Marie.

Après avoir passée quinze ans comme recluse dans une petite chambre retirée de la grande maison familiale, Jeanne Le Ber veut porter à son ultime développement sa vie de recluse consacrée de Ville-Marie. La jeune recluse et la sage voyagère conclut une entente où chacune y trouve son compte. Jeanne participera financièrement à l’édification d’une chapelle à la maison-mère et en contre-partie Marguerite lui laissera occuper trois petits appartements très restreints avec la possibilité d’avoir un « hublot » donnant sur le choeur de la chapelle d’où elle pourra prier et entendre la messe.

Ainsi, le 5 août 1695, une bonne partie de la population de Ville-Marie, pour ne pas dire toute, est témoin de l’entrée solennelle de Jeanne Le Ber dans son réclusoir à la Congrégation de Notre-Dame. Il faut dire que Marguerite connaissait Jeanne depuis son enfance puisque cette dernière est née à Ville-Marie même, en 1662.

Pour revenir à notre « bonne soeur Bourgeoys », c’est à l’âge de 78 ans pour le bénéfice non seulement de sa communauté mais aussi pour notre historiographie nationale, qu’elle se mit à écrire ses mémoires connues sous le nom d’Écrits autographes. Hélas! un incident dans la communauté ne permettra pas à Marguerite de nous laisser d’autres écrits.

En effet, dans la nuit du 31 décembre 1699, la communauté des soeurs voyagères est conviée à quelques jours de soubresauts de grande intensité et de vives émotions. D’abord, toutes les soeurs y compris Marguerite veillent au chevet de Catherine Charly, la jeune et dynamique maîtresse des novices. Ne pouvant supporter qu’un aussi beau jeune fruit spirituel soit déjà à l’article de la mort, Marguerite, par une prière vraie et directe, implore Dieu de la prendre elle, devenue inutile, au lieu de cette jeune fille encore pleine de promesses.

On dira ce que l’on voudra, et l’on ne peut douter de la proximité et de l’intimité entre Marguerite et Dieu car dès le soir même et tout le reste de la nuit du 1er janvier 1700, la soeur voyagère de la grande recrue de 1653, est prise d’une soudaine fièvre et en meurt le 12 janvier de la même année alors que Catherine Charly se rétablit.

En guise de conclusion, il importe de mentionner qu’avec la mort de Marguerite Bourgeoys se clôt un cycle dans la vie de Ville-Marie/Montréal. Les trois grands pilliers de l’implantation d’une colonie missionnaire en terre d’Amérique et particulièrement sur l’île de Montréal désormais ne sont plus. À la charnière des XVIIè et du XVIIIè siècles, un autre cycle était en train de s’ouvrir et au fil des générations, les héritiers et les héritières de ces pionniers et pionnières de notre roman national et de notre vie nationale n’auront peut-être pas toujours eu le potentiel, les qualités et les vertus nécessaires aux bâtisseurs et aux bâtisseuses d’avenir.

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BIBLIOGRAPHIE

Bernard, Hélène. «Bourgeoys, Marguerite, dite du Saint-Sacrement». Dictionnaire biographique du Canada. Vol. 1. Université Laval/University of Toronto. 2003.

Charron, Yvon. Itinéraire spirituel de Marguerite Bourgeoys (1er article)Revue d’histoire de l’Amérique française. Vol. 2. No 2. 1948. p.230-237.

Charron, Yvon. Itinéraire spirituel de Marguerite Bourgeoys (suite)Revue d’histoire de l’Amérique française. Vol. 2. No 3. 1948. p. 351-374.

Charron, Yvon. Itinéraire spirituel de Marguerite Bourgeoys (suite et fin)Revue d’histoire de l’Amérique française. Vol. 2. No 4. 1949. p. 522-539.

Collectif. Textes colligés par Jean-Rémi Brault. Les Origines de Montréal. Actes du colloque organisé par la Société historique de Montréal. Leméac. Montréal. 1992.

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