MADAME DE LA PELTRIE (1603-1671) PREMIÈRE FUGUEUSE EN NOUVELLE-FRANCE

 

(Marie-Madeleine de Chauvigny/Madame de La Peltrie. Huile sur toile. Anonyme.17è siècle)

(Plaque en l’honneur de Madeleine de La Peltrie à l’intérieur de l’église Saint-Pierre-de-Bivilliers (Orne). 2016 Association Perche-Canada)

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Les débuts d’une colonie française en terre nord-américaine ne furent pas de tout repos et ont donné lieu à toute sorte de mésaventures que l’on croit réservées que pour nos téléséries actuelles. Mais prenez garde lecteur/lectrice car en ce 18 novembre 2018 soit à quelques trois cent quarante-sept ans de distance de sa mort, je vous présente sommairement Mlle Marie-Madeleine de Chauvigny mieux connue sous le nom de Madame de La Peltrie fondatrice, à sa manière, et à l’instar de Marie de l’Incarnation, du couvent des Ursulines de Québec.

Ce « de La Peltrie » vient d’un mariage sous la contrainte paternel avec un nommé Charles de Gruel, seigneur de La Peltrie. En effet, la jeune fille se vit obligée de prendre époux car Monsieur son père désirait, pour elle, le genre de bon mariage surtout pour sa fille cadette. Elle donna naissance à une enfant morte au berceau et ce triste événement, coutumier à l’époque, fut suivi de la mort de son mari en 1625.

Marie-Madeleine de Chauvigny qui vit le jour à Alençon en 1603 devint ainsi veuve à l’âge de 22 ans. Elle pensait pouvoir reprendre sa liberté afin de combler son désir d’une vie cloîtrée ou qui s’y apparente. Or, c’est par la lecture de la Relation des Jésuites de 1635 doublé de l’appel du père Le Jeune qu’elle commence à ressentir un certain attrait pour une vie de missionnaire laïque en Nouvelle-France. Mais deux obstacles se dressa devant elle.

D’abord son père tenait toujours à bien la marier et cherchait un successeur au seigneur de La Peltrie. Marie-Madeleine qui, soit dit en passant, avait hérité d’une grande fortune et d’un bon patrimoine du premier mariage voulait encore moins d’un second. C’est ainsi qu’elle imagina un stratagème par lequel elle feindrait le projet d’un mariage blanc afin de calmer les ardeurs de Monsieur son père.

Elle alla rencontrer une connaissance du nom de Jean de Bernières, qui faisait office de trésorier de France dans la ville de Caen. Ce Jean de Bernières était un homme de grande réputation morale et spirituelle. Il fut fondateur de l’Ermitage de Caen d’où il dirigea des session de vie spirituelle. Monsieur de Bernières comprenant la situation de notre jeune veuve accepta de jouer le jeu.

Heureusement, doit-on dire malgré tout, Monsieur le père mourut et le stratagème aussi. Puis un problème de santé vint compliquer les choses. En effet, elle fut terrassée par la maladie. Les médecins la donna pour presque morte et se contentaient de visites de politesse auprès de la malade. Cette fois-ci, loin d’elle l’idée d’un stratagème pour se sortir de là. Elle passa plutôt par saint Joseph lui promettant suivant une sainte guérison d’aller en Canada.

Aussitôt la guérison obtenue, elle passe par Paris. Elle y rencontre Vincent de Paul et le père Condren. Puis, un père jésuite prend le relais, il s’agit du père Poncet. De ceci en cela, elle se rend dans la ville de Tours (France) rencontrer l’évêque du lieu ainsi que Marie Guyart , mieux connue sous le nom de Marie de l’Incarnation. Les deux femmes sont sur la même page géographique et missionnaire: le Canada et un couvent. Rien d’autre.

Puis on prépare les navires. Mme de la Peltrie y amène sa jeune servante de 19 ans Charlotte Barré qui incessamment deviendra la première professe du monastère des Ursuline de Québec et qui sera connue sous le nom soeur saint Ignace. Tout ce beau monde arrive et débarque à Québec le 1er août 1639 pour entre autre fonder le couvent des soeurs de Sainte Ursule de Québec en terre d’Amérique française.

Puis les années passant, nous nous retrouvons en 1641-1642 alors qu’arrive à Québec Maisonneuve, Jeanne Mance et la première recrue pour procéder à la fondation de la colonie de Ville-Marie sur l’Île de Montréal. On sait que l’équipage fut retenu quelques mois à Québec, le temps de pouvoir reprendre la navigation vers Montréal.

Et vlan, coup de théâtre. Madame de La Peltrie décide de faire faux bond à Marie de l’Incarnation et aux Ursulines. Au dire même du Dictionnaire biographique du Canada, Madame de La Peltrie fugue à Ville-Marie, au printemps de 1642, pour être auprès de Maisonneuve et de Jeanne Mance dont elle apprécie la compagnie.

Elle revient dix-huit mois plus tard auprès des Ursulines alors au bord de la catastrophe financière. En 1646, elle demande d’être novice dans la compagnie des soeurs de Sainte Ursule. Mais la vie du cloître total ne lui convenait pas. Elle repris donc sa liberté d’aller et venir à sa guise tout en vivant au cloître et en respectant l’ensemble des règles monastiques.

Au fond, Marie-Madeleine semble avoir été beaucoup plus proche d’une Jeanne Mance que d’une Marie de l’Incarnation. En ce sens qu’elle se considérait comme une laïque engagée et libre de ses mouvements. Au couvent de Québec, elle fut pendant dix-huit ans lingère. Elle s’occupait de la vaisselle, du ménage, du balayage et jouait aussi à l’infirmière en pansant les plaies des différents blessés. Sans oublier la catéchisation des jeunes amérindiennes et la visite de réconfort auprès des malades.

Le 12 novembre 1671, Madame de La Peltrie est frappée d’une pleurésie qui lui sera fatale. Elle mourut le 18 novembre après trente deux ans de vie de missionnaire laïc au service de la Nouvelle-France et de l’Église. Elle fut inhumée le lendemain dans la chapelle des Ursulines. On remit son coeur comme relique aux Jésuites.

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MARGUERITE BOURGEOYS ET LA VIE VOYAGÈRE (17 AVRIL 1620/12 JANVIER 1700)

(Portrait esquissé par Pierre Le Ber quelques heures après la mort de soeur Bourgeoys.1700. Huile sur toile. Collection Centre Marguerite-Bourgeoys. Congrégation de Notre-Dame. Montréal.)

(Vitrail. Jeanne Le Ber. Marguerite Bourgeoys. Katéri Tékakwitha. Basilique Notre-Dame)

(Huile sur toile. Les deux tours du fort de la montagne. Georges Delfosse. 1869-1939. Photo: Pascalle Bergeron. Copyright: Univers culturel de Saint-Sulpice)

(Une des deux tours du fort de la montagne à l’entrée du Grand Séminaire de Montréal. Photo: Ville de Montréal 2006. Grand répertoire du patrimoine bâti de Montréal)

(La célèbre chapelle de Notre-Dame-de-Bonsecours et le musée Marguerite-Bourgeoys adjacent. Tourisme Québec)

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« Nos fondateurs nous apparaissent grands, non seulement par le labeur qu’ils mettent dans leur oeuvre, labeur effrayant, mais aussi  et peut-être plus, par les lointaines visées qu’ils y renferment. Parce qu’ils travaillent pour un long avenir, tous les jours ils apprennent à se dépasser. »

-le chanoine Groulx. Notre Maître le Passé. 1924.

En ce 12 janvier 2017 comme à tous les ans, au Québec et à certains endroits du monde, nous commémorons la fête de sainte Marguerite Bourgeoys (1620-1700), la première éducatrice de la colonie de Ville-Marie et la fondatrice des soeurs de la Congrégation de Notre-Dame. Nous en prenons prétexte pour vous présenter un court récit de sa vie voyagère et missionnaire.

Né à Troyes (France) le vendredi saint 17 avril 1620 et baptisée le même jour, elle meurt de l’autre côté de l’océan Atlantique le 12 janvier 1700 à Ville-Marie après quarante-sept (47) années de loyaux services. Elle est avec Paul Chomedey, sieur de Maisonneuve et Jeanne Mance l’une des trois figures fondatrices incontournables de ce qu’on a appelé la folle entreprise.

On peut saluer le fait qu’elle est la seule des trois qui nous ait laissé des traces écrites des premières décennies des origines de Montréal. Les Écrits autographes  comme on les appelle n’avaient pas pour premier objectif de magnifier leur auteure pour sa propre postérité mais ils étaient mus par le souci de contrer un prétendu relâchement dans la vie de la communauté et de donner l’exemple de la vertu de ténacité. Elle a aussi entretenue une correspondance avec Dollier de Casson (1636-1701), supérieur de Saint-Sulpice en Nouvelle-France et, à ce titre, seigneur de l’île de Montréal, architecte et historien et finalement l’auteur de la première Histoire du Montréal (1672). Puis, secondairement, elle eut un échange épistolaire avec Monsieur Tronson, supérieur de Saint-Sulpice à Paris.

Un autre élément important et intéressant qui nous permet d’avoir accès à celle que les gens de Ville-Marie appelaient affectueusement « la bonne soeur Bourgeoys », c’est qu’en plus d’avoir en main une sorte de testament autographe de l’une des saintes du Québec, les historiens et les archivistes peuvent, dans leur recherche, prendre aussi appui sur une biographie publiée par un contemporain de Marguerite Bourgeoys, en la personne de son confesseur.

En effet, un dénommé Charles de Glandelet (1645-1725) est l’auteur de La vie de la soeur Marguerite Bourgeoys dite du Saint-Sacrement, institutrice, fondatrice et première supérieure des soeurs séculières de la Congrégation de Notre-Dame établie à Ville-Marie en L’Isle de Montréal en Canada. Une première rédaction du manuscrit est connue 1701 et est suivie d’une amplification en 1705.

Résumons très sommairement la vie de la très jeune Marguerite à Troyes. Dès son enfance et son adolescence, Marguerite Bourgeoys qui est le sixième enfants d’une grande fratrie de douze aime se réunir avec des filles de son âge. Elle avait la facilité et la faculté de réunir autour d’elle des filles pour travailler ensemble. Ainsi, on ne peut être surpris que dans sa vie d’adultes, elle cherchera à établir les mêmes schèmes de vie sociale mais cette fois-ci dans une expérience de vie et d’engagement auprès des autres à l’intérieur d’un cadre religieux et spirituel.

C’est un dimanche 7 octobre 1640 lors d’une procession au couvent des Jacobins de Troyes en l’honneur de la Vierge du Rosaire que Marguerite connut une expérience de conversion profonde et définitive. En prenant la rue, le cortège passe devant l’abbaye de Notre-Dame-aux-Nonnains. Traversant l’entrée principale qui par la splendeur de son portail connu justement sous le nom du Beau Portail, Marguerite vit une statue de pierre de la Vierge Marie. Un « échange de regard » fait naître en Marguerite un temps d’intimité indescriptible à vrai dire de nature spirituelle et mystique. C’est le début d’une transformation intérieure où la jeune fille de Troyes se donne complètement et définitivement à Dieu.

Sous la direction spirituelle du père Gendret, confesseur des Carmélites de Troyes, celui-ci lui fait connaître son intention d’un projet pour honorer la vie voyagère de Marie, mère de Jésus (la Visitation à Élizabeth). Cette vie voyagère prendrait la forme d’une communauté de filles séculières, qui sans tout l’attirail du vêtement religieux et de la clôture du cloître, seraient tout de même d’authentiques religieuses.

Marguerite décide d’entrer dans la congrégation des externes, à l’époque la directrice de la Congrégation est nul autre que Louise de Chomedey, la soeur du gouverneur de Ville-Marie. Celui-ci, en 1652 se trouve en France pour tenter de lever une recrue de près de 200 hommes selon ses intentions initiales. Il passe par Troyes pour aller saluer sa soeur. Et comme un plus un font deux, Louise de Chomedey en profite pour présenter à son frère la jeune Marguerite Bourgeoys. Le gentilhomme la sollicite pour s’embarquer pour la Nouvelle-France afin de faire oeuvre d’éducatrice dans la colonie de Ville-Marie autant auprès des enfants autochtones que des futures enfants des colonisateurs.

Après avoir prié et consulté, Marguerite Bourgeoys opte résolument pour l’embarquement vers Ville-Marie. Qu’on se le dise, en France, dans les milieux lettrés et concernés, on lit avec attention les récits des Relations des missionnaires jésuites. Donc, on connait les obstacles et les périls qui nous attendent. On n’est pas naïf ou insouciant face à la situation critique et violente en Nouvelle-France.

De plus, les traversées océaniques ne sont pas toujours de tout repos. Et l’on peut dire que la jeune Marguerite a cette fois-ci connu son baptême de mer et tout un baptême. En effet, la peste a fait des ravages au sein de l’équipage et a réclamé son lot de morts, huit hommes au total sans oublier les malades qui sont préoccupants. Il y eut de la grogne avec danger d’une mutinerie. Marguerite et les membres de l’équipage ont failli périr en mer. Le Saint-Nicolas a dû rebrousser chemin et revenir à Saint-Nazaire pour réparation.

Selon les mots de Dollier de Casson, Chomedey ne tarit pas d’éloge pour sa nouvelle recrue de Troyes auprès de Jeanne Mance et il n’est pas peu fier d’un autre fruit venant de la Champagne. Au final, Marguerite Bourgeoys arrive à Québec le 22 septembre 1653 puis à Ville-Marie en novembre. Elle doit attendre au moins quatre ans avant d’avoir accès à une école ainsi que d’une recrue d’élèves digne de ce nom.

Alors, entre-temps que faire d’utile? À défaut d’enseigner aux enfants, elles s’occupera des adultes. On rapporte qu’elle se fait la grande soeur des colons. Elle sait tirer son épingle du jeu. Elle s’occupe du lot des Filles du Roy et anime en quelque sorte une agence matrimoniale. Elle est perspicace et elle connaît son monde.

Parallèlement à tout cela, on ne peut passer sous silence son projet de faire construire une chapelle dédiée à Notre-Dame-de-Bonsecours. On sait que Pierre Chevrier, baron de Fancamp, l’autre homme de l’ombre du projet de Ville-Marie avec Jérôme Le Royer, lui avait remis une certaine somme d’argent ainsi qu’une statue de Notre-Dame-de-Bonsecours.

Dès 1657, Marguerite Bourgeoys sollicite quelques colons afin d’ériger la première chapelle Bonsecours celle en bois. Puis, en 1668, l’on procédera à l’érection de la chapelle en pierre (d’ailleurs c’est la première église en pierre de toute l’île de Montréal). Incendiée en 1754. Rebâtie en 1772. Modernisée entre 1885 et 1888. Puis restaurée vers la fin du XXè siècle, la chapelle historique et patrimoniale Notre-Dame-de-Bonsecours toujours vent debout contre toutes les adversités de l’histoire, face au fleuve, ce bâtiment est un témoin-clé de l’origine de Montréal, et de plus, elle est ouverte au public depuis le 24 mai 1998. Un musée Marguerite-Bourgeoys y est adjacent.

Finalement en 1658, une première fournée de gamins et gamines en âge de scolarisation commence leur vie d’écolier dans une étable. Hé oui! Une étable, lieu temporaire gracieuseté du gouverneur Maisonneuve. Puis le projet d’enseignement se développe et les soeurs voyagères vont là où se trouve la marmaille. C’est ainsi, qu’il y aura différente « succursales » dont l’une qui nous intéresse un peu plus en tant que Montréalais. En effet, en 1678, la congrégation de Notre-Dame établit une mission éducative au village amérindien de la Montagne. Après avoir enseignées quelques deux décennies dans des cabanes d’écorce, à la fin du siècle grâce aux bons offices de M. Vachon de Belmont, sulpicien, les soeurs voyagères peuvent habiter et enseigner dans les tours du Fort que l’on peut apercevoir encore sur le terrain du Grand Séminaire de Montréal.

Et puis le temps fait son temps. En décembre 1683, Marguerite âgée de 63 ans a l’intention de démissionner afin de passer le flambeau à des plus jeunes. Mais qui dit flambeau dit feu. Malheureusement, dans la nuit du 6 au 7 décembre, un violent incendie détruit non seulement la maison-mère mais fait périr les deux candidates pressentie à la succession. Marguerite Bourgeoys devra encore pour dix ans faire office de timonière à la barre de sa fondation. Finalement, en 1693, Marguerite peut se permettre de démissionner et soeur Marie Barbier est élue supérieure.

Si au début de sa vie en terre de Ville-Marie, Marguerite s’était liée d’amitié spirituelle avec Jeanne Mance, vers la fin de sa vie, elle vécut un rapprochement avec une fille du pays de la célèbre famille Le Ber. C’était une autre Jeanne. Jeanne Le Ber (1662-1714), fille de Jacques Le Ber, la recluse de Ville-Marie.

Après avoir passée quinze ans comme recluse dans une petite chambre retirée de la grande maison familiale, Jeanne Le Ber veut porter à son ultime développement sa vie de recluse consacrée de Ville-Marie. La jeune recluse et la sage voyagère conclut une entente où chacune y trouve son compte. Jeanne participera financièrement à l’édification d’une chapelle à la maison-mère et en contre-partie Marguerite lui laissera occuper trois petits appartements très restreints avec la possibilité d’avoir un « hublot » donnant sur le choeur de la chapelle d’où elle pourra prier et entendre la messe.

Ainsi, le 5 août 1695, une bonne partie de la population de Ville-Marie, pour ne pas dire toute, est témoin de l’entrée solennelle de Jeanne Le Ber dans son réclusoir à la Congrégation de Notre-Dame. Il faut dire que Marguerite connaissait Jeanne depuis son enfance puisque cette dernière est née à Ville-Marie même, en 1662.

Pour revenir à notre « bonne soeur Bourgeoys », c’est à l’âge de 78 ans pour le bénéfice non seulement de sa communauté mais aussi pour notre historiographie nationale, qu’elle se mit à écrire ses mémoires connues sous le nom d’Écrits autographes. Hélas! un incident dans la communauté ne permettra pas à Marguerite de nous laisser d’autres écrits.

En effet, dans la nuit du 31 décembre 1699, la communauté des soeurs voyagères est conviée à quelques jours de soubresauts de grande intensité et de vives émotions. D’abord, toutes les soeurs y compris Marguerite veillent au chevet de Catherine Charly, la jeune et dynamique maîtresse des novices. Ne pouvant supporter qu’un aussi beau jeune fruit spirituel soit déjà à l’article de la mort, Marguerite, par une prière vraie et directe, implore Dieu de la prendre elle, devenue inutile, au lieu de cette jeune fille encore pleine de promesses.

On dira ce que l’on voudra, et l’on ne peut douter de la proximité et de l’intimité entre Marguerite et Dieu car dès le soir même et tout le reste de la nuit du 1er janvier 1700, la soeur voyagère de la grande recrue de 1653, est prise d’une soudaine fièvre et en meurt le 12 janvier de la même année alors que Catherine Charly se rétablit.

En guise de conclusion, il importe de mentionner qu’avec la mort de Marguerite Bourgeoys se clôt un cycle dans la vie de Ville-Marie/Montréal. Les trois grands pilliers de l’implantation d’une colonie missionnaire en terre d’Amérique et particulièrement sur l’île de Montréal désormais ne sont plus. À la charnière des XVIIè et du XVIIIè siècles, un autre cycle était en train de s’ouvrir et au fil des générations, les héritiers et les héritières de ces pionniers et pionnières de notre roman national et de notre vie nationale n’auront peut-être pas toujours eu le potentiel, les qualités et les vertus nécessaires aux bâtisseurs et aux bâtisseuses d’avenir.

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BIBLIOGRAPHIE

Bernard, Hélène. «Bourgeoys, Marguerite, dite du Saint-Sacrement». Dictionnaire biographique du Canada. Vol. 1. Université Laval/University of Toronto. 2003.

Charron, Yvon. Itinéraire spirituel de Marguerite Bourgeoys (1er article)Revue d’histoire de l’Amérique française. Vol. 2. No 2. 1948. p.230-237.

Charron, Yvon. Itinéraire spirituel de Marguerite Bourgeoys (suite)Revue d’histoire de l’Amérique française. Vol. 2. No 3. 1948. p. 351-374.

Charron, Yvon. Itinéraire spirituel de Marguerite Bourgeoys (suite et fin)Revue d’histoire de l’Amérique française. Vol. 2. No 4. 1949. p. 522-539.

Collectif. Textes colligés par Jean-Rémi Brault. Les Origines de Montréal. Actes du colloque organisé par la Société historique de Montréal. Leméac. Montréal. 1992.

JÉRÔME LE ROYER, SIEUR DE LA DAUVERSIÈRE (1597-1659)

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(Jérôme Le Royer de La Dauversière. Vitrail au Cours Le Royer (Vieux-Montréal). Oeuvre de Pierre Osterrah, maître verrier et sculpteur)

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(Une section de la rue Le Royer dans le Vieux-Montréal transformée en promenade appelée Les Cours Le Royer, bordée d’anciens magasins-entrepôts datant des années 1861-1872 maintenant aménagés en appartements et en bureaux. Photo: Normand Rajotte réalisée pour l’ouvrage L’histoire du Vieux-Montréal à travers son patrimoine, 2004.)

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LIMINAIRE

17 Mai 2016, jour pour jour, date anniversaire de la fondation de Montréal, VILLE-MARIE EXPRESS présente très succinctement, l’homme derrière ce projet de fondation missionnaire sur l’île de Montréal. Nous saluons particulièrement, nos religieuses hospitalières de Saint-Joseph sises à Montréal sans oublier celles de La Flèche, héritières de la spiritualité et du dévouement voulu par leur fondateur. Nous avons aussi une pensée pour Marie de La Ferre, co-fondatrice de votre communauté.

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Jérôme Le Royer de La Dauversière. Il fut un temps où une commission scolaire de Montréal en portait le nom. Mais dans la foulée d’une reconfiguration du nombre de commissions scolaires au Québec, l’on en profita pour liquider cette appellation au profit de la commission scolaire de la Pointe-de-l’Île. Ça au moins l’avantage d’être moins long à écrire. Admettons tout de même que c’est joli. Malgré tout, avouons que la toponymie montréalaise continue à mettre à mal sa mémoire historique. Soyons beau joueur et signalons, tout de même, que la commission scolaire de la Pointe-de-l’Île a en son sein une école primaire du nom de La Dauversière qui longtemps porta le nom de Jérôme Le Royer!

Mais pour certains, Jérôme Le Royer de La Dauversière est le vrai fondateur de Montréal bien qu’il n’y ait jamais mis les pieds! Pour d’autres, c’est l’homme derrière le projet de Montréal ce qui n’est nullement faux au contraire. Et pour dom Guy-Marie Oury o.s.b. (1929-2000), et pour plusieurs, Jérôme Le Royer est l’homme qui a conçu Montréal.

En fait, Jérôme Le Royer, est, en quelque sorte et à sa manière, fondateur, homme derrière le projet de Montréal et celui qui l’a conçu. Il en aurait eu la vision au sens propre comme au sens figuré (1631). Il en a été l’âme, le catalyseur des énergies humaines qu’il sollicitait. Pour nous, en langage d’aujourd’hui, nous pouvons dire que l’homme de La Flèche (France) a été l’idéateur de ce projet. Il visualisait dans sa tête le Montréal qu’il envisageait de bâtir ou plutôt de faire bâtir par des cohortes de colons encadrés par des personnes de haute compétence mais surtout audacieuses. Mais une des choses qu’il n’avait pas prévue, c’est la résistance acharnée de la nation iroquoise à la venue et à l’installation des colons français en Amérique du nord et particulièrement sur l’île de Montréal. Là où jadis, une tribu iroquoise y avait installée son village du nom d’Hochelaga.

Jérôme Le Royer naît à La Flèche (France) en 1597, une petite ville en Anjou aujourd’hui située dans la Sarthe. On parle d’une population approximativement de 5000 habitants dont au moins un millier sinon davantage sont d’âge scolaire ou étudiant. Et qu’est-ce qui explique un tel nombre d’étudiants? Tout simplement à cause du réputé collège Henri IV tenu par les jésuites (aujourd’hui devenu le Prytanée militaire) établit à La Flèche.

Dès l’âge de 11 ans, Jérôme fréquente ce collège où il aura comme condisciple le futur philosophe René Descartes. Cogito ergo sum cela vous dit de quoi? Le Je pense donc je suis de nos premiers cours de philosophie. Mais encore mieux, il eût comme confrère d’étude Charles Huault de Montmagny, futur premier gouverneur de la Nouvelle-France (1636-1648). Jérôme Le Royer venait à peine de terminer ses études (1617) que son père meurt l’année suivante. Il est l’aîné d’une fratrie de trois enfants. C’est en 1622 alors qu’il atteint ses 25 ans soit la majorité à l’époque, qu’il accède officiellement au poste de percepteur des tailles (percepteur d’impôt) comme l’avait été son père précédemment.

Il contracte mariage en 1621 avec Jeanne de Baugé avec laquelle il aura cinq enfants. En comptant sur l’appui indéfectible de Jeanne et sur sa complicité, Jérôme en homme d’action cumulera plusieurs charges qui le mèneront à voyager régulièrement et à grever son budget comme on verra plus tard. Mais toute sa vie active reposera sur une vie intérieure nourrie de prières intenses et d’une dévotion sans pareil envers la Sainte-Famille autant comme une réalité globale vivante et vivifiante qu’envers les trois personnes qui la composent à savoir Joseph, Marie et Jésus.

Le 2 février 1630, mû par une inspiration divine dans un moment de prière intense, il envisage de fonder une communauté de religieuses non cloîtrées au service du vieil hôpital de La Flèche. Avec l’appui moral et financier de son indéfectible ami Pierre Chevrier, baron de Fancamp, il fait retaper l’Hôtel-Dieu de La Flèche et dédie une chapelle au nom de Saint-Joseph et le confie à cette nouvelle communauté de soeurs soignantes connue désormais sous le nom des religieuses hospitalières de Saint-Joseph.

Le projet d’établissement d’une colonie à Montréal venu aussi d’une inspiration divine se confirme dans l’esprit de Jérôme le Royer autour de l’an 1635. À cette époque, il rencontre opportunément, Jean-Jacques Olier, fondateur de Saint-Sulpice qui est lui aussi intéressé par un tel projet missionnaire. Mais occupé et préoccupé par le relèvement et la rénovation de l’Hôtel-Dieu de La Flèche, Le Royer doit repousser de quelques années le projet de Montréal.

Mais autour des années 1639-1640 le projet d’établissement sur l’Île de Montréal devient une priorité. Bien que Jérôme Le Royer n’ait jamais mis le pied sur le sol de Ville-Marie, sa charge de travail n’en n’est pas moins hautement méritoire. En collaboration avec son ami le baron de Fancamp, il s’assure de l’envoi des premiers approvisionnements. Et cela du début à la fin. Par approvisionnements, l’on entend denrées, outils, artillerie, munitions et tout le nécessaire sans oublier le courrier. D’ailleurs, à La Flèche, un entrepôt au nom de Montréal est à disposition. Et cela, sans oublier, l’incessant travail de recrutement de colons.

Mais un projet de colonie missionnaire dans un territoire du Nouveau Monde ne peut être l’apanage d’un seul homme aussi doué et dévoué soit-il. Jérôme Le Royer peut compter sur l’appui actif et financier d’une confrérie du nom de la Société de Notre-Dame de Montréal (1639-1663) dont Jean-Jacques Olier deviendra le directeur en mars 1650. Cette confrérie est en quelque sorte un réseau de contacts, composée d’hommes et de femmes, liés par des objectifs communs et qui s’active afin de faire aboutir un projet collectif.

Pendant près de vingt ans (1639-1659), Jérôme Le Royer, tout en cumulant différentes tâches et fonctions à La Flèche et dans le pourtour de l’Anjou, s’est consacré corps et âme, comme disent les anciens, pour l’édification de Ville-Marie. Il mourut en 1659, usé par le travail, les soucis, les préoccupations, et lesté par des dettes liées à ses différents engagements et particulièrement de son projet de colonisation missionnaire.

Mais pour les Fléchois comme pour les Montréalais, Jérôme Le Royer se classe dans la catégorie des Hommes d’exception. Épaulé par les membres de la Société Notre-Dame de Montréal, il a pu au fil du temps réunir autour du projet de Ville-Marie, des personnes comme Maisonneuve, Jeanne Mance, Marguerite Bourgeoys dont les fruits sont encore visibles et palpables aujourd’hui en notre sol montréalais et en nos murs.

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LECTURES CONSULTÉÉS

Beaulieu Bertille, r.h.s.j., Jérôme Le Royer de La Dauversière 1597-1659, Les Religieuses Hospitalières de Saint-Joseph, Montréal, 1994.

Oury, Guy-Marie, «La liquidation judiciaire des biens de Jérôme Le Royer de La Dauversière et le financement de Montréal», Les Cahiers des dix, no 49, 1994, p.51-73. (Article retracé sur le site Erudit.org)

Oury, Guy-Marie, «Le projet missionnaire de M. De La Dauversière, Premier Seigneur de Montréal», Études d’histoire religieuse, vol.59, 1993, p. 5-23. (Article retracé sur le site Erudit.org)

Oury, Guy-Marie, «Pierre Chevrier, baron de Fancamp, co-seigneur de l’Île de Montréal (Nouvelles Recherches), Les Cahiers des dix, no 47, 1992, 11-40. (Article retracé sur Erudit.org)

 

LECTURE SUGGÉRÉE

Brault, Jean-Rémi (dir.), Les Origines de Montréal, Actes du colloque organisé par la Société historique de Montréal, Leméac, Montréal, 1992.

 

 

 

 

 

 

JEANNE LE BER (1662-1714)

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(Portrait de Jeanne Le Ber. Source: Collection du Musée Saint-Gabriel)

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(Peinture de soeur Jacqueline Poirier, recluse missionnaire, 1980)

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( Détail d’une verrière. Basilique Notre-Dame de Montréal)

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(Détail d’un parement brodé par Jeanne Le Ber. Source: Collection du Musée Saint-Gabriel)

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(Parement d’autel dit de la Colombe du Saint-Esprit terminé vers 1700. Broderie préservée à la sacristie de la Fabrique de la paroisse Notre-Dame de Montréal)

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Ce texte est une reprise revue, augmentée et améliorée voire corrigée de celui écrit lors de la célébration du troisième centenaire de la mort de Jeanne Le Ber (1714-2014)

Chaque fois que l’on parle de la fondation de Montréal, il est de mise de faire ressortir les figures historiques que sont Jeanne Mance (1606-1673) et Paul Chomedey, sieur de Maisonneuve (1612-1676). Sans oublier, bien sûr, ceux et celles qui sont à l’initiative de cette folle entreprise, tel Jérôme Le Royer, sieur de La Dauversière (1597-1659). Comme dans toute entreprise humaine, il existe toujours des personnages hors du commun qui, de manière discrète, contribuent au succès d’un  projet de grande envergure. Ces personnages de l’histoire peuvent être classés dans la catégorie d’illustres inconnus qui sont dans les faits des personnes méconnues de notre histoire. Jeanne Le Ber en est un bel exemple.

Jeanne Le Ber était la fille unique au sein d’une fratrie de cinq enfants (Louis, Jacques, Jean-Vincent, Pierre). Son père Jacques Le Ber (1633-1706) était un riche marchand de la Nouvelle-France et du Montréal naissant. Quant à sa mère Jeanne Le Moyne, elle est la soeur de Charles Lemoyne (1626-1685) dont le fils homonyme et cousin de Jeanne sera connu comme sieur de Longueuil et de Châteauguay. Jacques Le Ber était arrivé en Nouvelle-France avec son frère aîné François en 1657. Nous sommes donc dans la deuxième étape de l’établissement de Ville-Marie commencé en 1642. En 1660, les Le Ber et les Lemoyne décident d’un commun accord de construire une maison à deux logements distincts sur la rue Saint-Paul juste en face du bâtiment de l’Hôtel-Dieu de l’époque. C’est là que naîtra Jeanne Le Ber le 4 janvier 1662 qui aura comme parrain Maisonneuve dont le sort dans la colonie est en sursis et qui finalement quittera (désavoué) Ville-Marie en 1665 pour retourner définitivement en France.

Autant Jacques Le Ber était voué au commerce et aux affaires de la jeune colonie de Ville-Marie autant Jeanne a priorisé la vie intérieure et spirituelle. Bien que sa vie de recluse la tenait loin des tribulations de ce temps de fondation, elle s’en faisait toute proche par sa vie de prière et d’oblation comme on le verra plus loin. Mais tout en étant recluse, elle ne renonça jamais à la gestion avisée de son patrimoine familial qui lui permit de soutenir financièrement ses oeuvres matérielles, religieuses et caritatives.

L’on peut sans l’ombre d’un doute affirmer que se sont les femmes de son entourage immédiat qui ont semé en elle, le désir d’un accomplissement plus large et plus profond de sa vocation. Qu’il nous suffise d’évoquer sa tante Marie Le Ber (1644-1714) dite de L’Annonciation à ne pas confondre avec Marie de L’Incarnation, Jeanne Mance (1606-1673) qu’elle avait comme marraine et comme proche voisine et qu’elle fréquentait beaucoup dès sa tendre enfance et enfin Marguerite Bourgeoys (1620-1700). Juste à l’évocation de toutes ces femmes, on peut légitimement dire que la jeune colonie de Ville-Marie était entre bonnes mains.

Mais alors que le leg de notre histoire française et coloniale nous rappelle que Jeanne Mance fut la fondatrice de l’Hôtel-Dieu de Montréal, que Marguerite Bourgeoys fonda la Congrégation de Notre-Dame, qu’en est-il exactement de la contribution de Jeanne Le Ber? Pour les gens de son époque, mademoiselle Jeanne est non seulement la fille du riche marchand qu’est Jacques Le Ber mais elle est surtout la recluse de Ville-Marie.

Mais comment peut-on s’imaginer qu’une jeune fille dont la dot pouvait facilement se chiffrer à quelques 50 000 écus et qui était considérée comme l’un des meilleurs partis de la Nouvelle-France s’est « contentée » d’une vie de recluse? On peut risquer une réponse. Considérons simplement que sans rien enlever à la probité morale et à l’engagement religieux de Jacques Le Ber, sa fille Jeanne par sa vie de recluse fut en quelque sorte le pendant spirituel intérieur de la vie commerçante de son père. Bien que l’un ne dévalorise pas l’autre. D’ailleurs, l’aisance financière dont bénéficiat Jeanne, est tributaire de la réussite professionnelle de son père .

Cela dit, que savons-nous de Jeanne Le Ber? Que savons-nous de cette laïque-recluse que l’on nomme l’Ange de Ville-Marie? Elle est née le 4 janvier 1662 dans la colonie de Ville-Marie et baptisée le même jour par le père Gabriel Souart, celui-là même qui maria ses parents quelques années auparavant. De sa tendre enfance l’on sait peu sinon presque rien. De 1674 à 1677, donc entre 12 et 15 ans, elle fut pensionnaire au couvent des Ursulines à Québec. Elle est en bonne compagnie familiale puisque sa tante Marie Le Ber y enseigne.

Profitons-en pour présenter le projet éducatif dont bénéficiaient les jeunes pensionnaires des Ursulines. Au plan intellectuel, grammaire, arithmétique, catéchisme (cela va de soi) histoire et littérature. Bien que l’on puisse supputer qu’ici l’on parle d’histoire sainte et de littérature édifiante pour la vie de l’esprit, on ne doit pas perdre de vue que l’on avait le souci d’engendrer des filles lettrées.

Le second versant de ce projet éducatif était l’initiation aux arts dit féminins que sont la couture, le tricot, la dentelle, la broderie, le dessin et la calligraphie. Outre, l’appellation d’arts dits féminins qui peut nous faire sourire aujourd’hui, il appert que cette exigence de dextérité manuelle était vraiment hors du commun. Va pour la couture et le tricot qui permettaient la confection de vêtements du quotidien. Mais avec la dentelle, la broderie et la calligraphie, l’on peut vraiment parler d’art et de travail d’artiste.

Revenons maintenant à Jeanne. Alors que les Ursulines de Québec auraient bien apprécié la garder en leur sein, Jeanne rentre à Ville-Marie. Elle est maintenant âgée de 15 ans. À son retour, deux événements majeurs permettrons à la jeune fille de donner plus de lisibilité à sa vocation.

D’abord, en 1679, Jeanne est vivement affectée par la mort d’une jeune religieuse de la Congrégation de Notre-Dame dont elle s’était liée d’amitié. Année même où sa grande amie de quatre ans sa benjamine, Marie-Catherine Charly (1666-1719), entre au noviciat de la CND (elle sera supérieure générale de 1708 jusqu’à sa mort). Puis, un non-événement révélateur de sa vocation particulière. Par l’intermédiaire de son père, elle refuse une demande en mariage de ce qui à l’époque venait d’un bon parti. Ce refus confirma chez elle, et peut-être chez son entourage, la conviction que sa vocation personnelle, que l’état de vie qu’elle privilégiait, n’était point de nature conjugale et maternelle.

À l’âge de 18 ans, elle prend conseil auprès de l’abbé François Séguenot (1645-1727), un jeune prêtre sulpicien qui devint son confesseur jusqu’à la fin de sa vie. Ajoutons qu’en termes de direction de vie spirituelle, elle fut soutenue par les abbés Dollier de Casson, le supérieur des Messieurs de Saint-Sulpice à qui l’on doit une première rédaction d’une histoire de Montréal, l’abbé Vachon de Belmont et l’abbé Séguenot.

Mais si tant est que Jeanne ne soit pas attirée par le mariage, elle ne sent pas non plus le désir de vivre en communauté religieuse. Assez étonnant pour l’époque d’autant plus qu’elle en avait même l’embarras du choix puisqu’en Nouvelle-France, elle pouvait se faire Ursuline, Hospitalière de Saint-Joseph ou devenir membre de la Congrégation de Notre-Dame de sa grande amie Marguerite Bourgeoys.

Mais de par son tempérament et son type de dévotion, elle voulut une vie de recluse, c’est-à-dire une vie de solitude et d’oraison centrée sur le Saint-Sacrement de l’Eucharistie, sa pierre d’aimant comme elle aimait dire. L’abbé Séguenot en consultation avec son supérieur Dollier de Casson et l’abbé Vachon de Belmont qui sera son premier biographe, sont convenus d’un essai de cinq ans (1680-1685) d’une vie de recluse dans la maison familiale de Jeanne. Dans les circonstances, l’abbé Séguenot s’est employé à dresser à Jeanne une règle de vie où prière, lecture et travail manuel alternent.

Le 24 juin 1685, elle prononça un voeu simple de réclusion et de chasteté perpétuelle. En dépit de cela, Jeanne reste une femme libre d’esprit car autant en 1682 donc avant la prononciation de ses voeux, elle ne se rendit pas auprès de sa mère mourante (allant seulement prier au pied du lit à l’annonce de sa mort) autant en 1691 quand son frère Jean-Vincent fut tué par les Iroquois, elle se rendit près du corps et prit part aux préparatifs des obsèques. Elle fit de même en ce qui concerne la gestion de son patrimoine. Bien qu’elle épouse un style de vie qui la situe dans le sillage de la pauvreté évangélique, elle refusa, sous le conseil avisé de son directeur, d’aliéner ses biens et son patrimoine. Nous sommes loin ici d’un cas de contradiction. En effet, la situation matérielle de la jeune colonie exigeait une saine prudence au plan financier.

Puis après l’équivalent de quatorze années de vie dévote et de réclusion dans la demeure familiale (1680-1694), il est temps pour Jeanne de passer à autre chose et de franchir la grande étape qui correspondra au mieux à sa vie dévotionnelle et oblative. Le couvent de la soeur Bourgeoys ayant été la proie des flammes (1694), Jeanne s’engage à financer les travaux de reconstruction en échange de pouvoir habiter quelques trois petites pièces adjacentes à la chapelle d’où elle pourra à partir d’une petite lucarne (hagioscope) avoir une vue sur le tabernacle de la chapelle. La pièce du rez-de-chaussée lui servira de chapelle et de parloir avec fenêtre sur le tabernacle; le premier étage sera sa chambre à coucher et finalement, le grenier « hébergera », entre autres choses, le métier à tisser et le rouet de Jeanne.

Le 5 août 1695, la chapelle est prête pour accueillir Jeanne. Elle a maintenant 34 ans. Après la célébration des Vêpres, un cortège se met en branle pour se rendre à la maison familiale y cueillir Jeanne afin de l’escorter jusqu’à l’église où elle prendra « possession » de ses appartements qui lui feront office de réclusoir. C’est dans ce nouvel espace, qu’elle continuera à partager son temps entre la prière, la méditation, l’adoration, la messe et son travail manuel par lequel elle brodera des vêtements d’église, des linges d’autel et des vêtements pour les démunis. Sur sa porte, elle écrira C’est ici ma demeure pour les siècles des siècles. J’y demeurerai parce que je lay choisy.

À la faveur de la nuit, quand l’église est fermée et déserte, en toute discrétion, elle se rendait prier avec ferveur devant l’autel. C’est dans cette optique qu’elle institua la pratique de l’adoration diurne du Saint-Sacrement pour les religieuses de Marguerite Bourgeoys et qui deviendra plus tard une adoration perpétuelle (jour et nuit) pour la communauté religieuse dont elle est l’inspiratrice (les Recluses missionnaires).

Jeanne tombe malade vers la fin du mois septembre 1714 et meurt le 3 octobre de la même année soit le lendemain de la mort de sa tante Marie Le Ber, ursuline à Québec. Elle fut inhumée près de son père car ce dernier avait demandé d’être enterré dans l’église des soeurs afin d’être près de sa fille.

Jusqu’à présent, nous n’avons qu’effleuré la vie spirituelle de Jeanne, la recluse. Il serait de mise avant de terminer ce texte de nous y attarder un peu plus. Précisons tout de suite, que c’est vraiment à grands traits que nous allons esquisser ce sur quoi pouvait reposer la vie intérieure de Jeanne Le Ber.

Malheureusement, bien qu’étant lettrée, Jeanne Le Ber ne laisse aucun écrit qui nous permettrait de saisir précisément sa spiritualité. Par conséquent, nous devons nous rabattre sur deux éléments de sa vie nous permettant avec une certaine justesse d’inférer ce sur quoi reposait sa vie spirituelle.

Le premier élément concerne son désir d’être recluse et le deuxième a trait aux principaux personnages ecclésiastiques qui l’accompagnent dans son cheminement, en particulier, l’abbé Séguenot. On sait qu’elle avait lu dans les Écrits de Marie de l’Incarnation que celle-ci au moment de son veuvage retourna à la maison paternelle et y vécut en recluse dans une pièce de la maison. On sait que ce genre de vie de recluse en milieu familial est connu et documenté. Mais il y a plus, il semble que l’on peut rattacher ce vouloir-vivre comme recluse à l’institution médiévale des reclus et des recluses qui a perduré pendant plus ou moins un millénaire dans la vie de l’Église mais particulièrement du XIème au XVIIème siècle.

Le deuxième élément qui nous aide à saisir sa vie spirituelle concerne son entourage de conseillers en matière spirituelle. En effet, depuis 1657, les prêtres de la Société Saint-Sulpice sont arrivés à Ville-Marie pour pourvoir à la vie religieuse de la colonie. La spiritualité sous-jacente à ces prêtres s’inscrit dans le vaste mouvement de renouveau religieux et spirituel issu du Concile de Trente (1545-1563). Si le XVIème siècle avait été le Siècle d’or de l’Espagne catholique en matière de renouveau spirituel, le XVIIème fut selon l’expression de l’historien Henri Bremond le siècle de l’École française de spiritualité. Au coeur de cette École française, quatre grands noms Condren, Bérulle, Olier et Jean Eudes.

Ce sont surtout les écrits du cardinal Bérulle qui marquent les esprits de l’époque et qui vont faire école allant même jusqu’à parler d’École bérulienne plutôt que d’École française. De manière très synthétique et schématique disons que cette école de spiritualité met l’accent sur le mystère de l’Incarnation qui nous conduit inévitablement à la charité agissante. Jean-Jacques Olier, fondateur des prêtres de  Saint-Sulpice s’inscrit dans ce mouvement de renouveau et ce sont ces mêmes prêtre qui sont dans l’entourage de Jeanne Le Ber. Donc, il y a tout lieu de penser que tout le programme des exercices d’oraison et de dévotion dont on a parlé plus haut auxquels se prêtait Jeanne était nourri de cette spiritualité.

Ainsi, la vie intérieure de Jeanne Le Ber se trouve en quelque sorte aux confluents de deux traditions ecclésiales. La première ayant trait au mode de vie des reclus et recluses au Moyen-Âge et la seconde s’inscrivant dans le courant dominant du renouveau spirituel de son époque à savoir la spiritualité bérulienne.

En guise de conclusion disons simplement que si Jeanne Le Ber ne nous a laissé aucun écrit particulier, ses mains au lieu de manier la plume ont préféré coudre et broder nous laissant plutôt quelques oeuvres matérielles de linges d’autel et de vêtements liturgique. Mais le plus important à mes yeux, c’est que Jeanne Le Ber est cette recluse de chez nous dont la vie depuis une soixantaine d’années inspire une communauté religieuse de recluses qui subsiste comme un chêne à Montréal où une vingtaine de moniales recluses perpétuent, à leur manière et avec les adaptations nécessaires, la vie et le souvenir de Jeanne Le Ber. C’est autant cette communauté religieuse contemplative que Jeanne Le Ber que nous saluons aujourd’hui par ce texte.

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BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

DEROY-PINEAU, Françoise, Jeanne Le Ber. La recluse au Coeur des combats, Bellarmin, Bellarmin, 2000.

DION, Marie-Paule, «La recluse de Montréal, Jeanne Le Ber», Église et Théologie, 22,1991, p.39

SIMARD, Thérèse, Jeanne Le Ber. Un itinéraire, Novalis, Montréal, 2014.

TREMBLAY, Monique, « Jeanne Le Ber en marche vers la vénérabilité », Signes, Vol. 50, Juillet-Septembre 2015.

LIENS UTILES

http://reclusesmiss.org/wp/

http://www.maisonsaint-gabriel.qc.ca/index.php

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JACQUES VIGER (1787-1858)

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(Photographie: Portrait de Jacques Viger (vers 1850) copie réalisée pour J. Lovell en 1891 par  Wm. Notman & Son. Plaque sèche à la gélatine, 17 X 12 cm. Musée McCord). En version bleutée pour nos lecteurs.

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Lorsque l’on évoque le nom de Jacques Viger, l’on pense d’abord à celui qui fut le premier maire de Montréal (1833-1836) puis en second à l’un des quatre membres-fondateurs de la Société historique de Montréal (1858). Pourtant, l’on ne peut réduire l’ensemble de l’œuvre et de l’action à ces deux éléments. En effet, l’homme est en quelque sorte un monument du Bas-Canada. Jacques Viger est un touche-à-tout. Il est selon les moments de sa vie, journaliste, officier de milice, fonctionnaire et homme politique.

Au plan familial, il est entre autre cousin de Denis-Benjamin Viger, de Louis-Joseph Papineau et de Mgr Jean-Jacques Lartigue. Au cœur de ce réseau familial, il fera office d’informateur et de conseiller informel. C’est un érudit et un fonctionnaire méticuleux. À l’époque, il n’y a pas de ville de Montréal proprement dite avec une charte et attribution des fonctions et responsabilités mais une administration municipale embryonnaire dont les juges de paix font office d’administrateurs. Le principal fonctionnaire municipal est alors l’inspecteur des grands chemins, rues, ruelles et ponts. On est vraiment dans le basic. C’est ce poste qu’obtiendra Viger en décembre 1813.

C’est un homme d’action et de dossiers. Il initie une certaine planification urbaine avant l’heure. Il a entre autre chose élaboré deux registres des rues de Montréal, l’un en 1817 et le second en 1837. En 1825, il est nommé avec un certain Louis Guy commissaire du recensement pour ce qu’on appelait à l’époque le comté de Montréal qui couvrait l’ensemble de l’île de Montréal. Sa méticulosité légendaire fit en sorte qu’il ajouta une série de questions de son cru à ce recensement dont la compilation a permis de prendre une radiographie sociale et économique de grande qualité pour l’histoire de la ville de Montréal.

Pendant le mandat de trois ans où il fut maire (1833-1836), il fit entreprendre d’importants travaux de drainage dans les faubourg de Montréal. Il faut dire qu’en juin 1832, Montréal est frappée par une épidémie de choléra qui fera au bas mot au moins 2000 victimes. À l’époque, on a attribué cette poussée de choléra en partie à l’état marécageux de la zone de Montréal qui s’étend au nord de la rue Sainte-Catherine, au pied de la côte de la rue Sherbrooke.

Finalement, en 1836, l’on change les règles du jeu de la politique municipale: le poste de maire est aboli et l’administration de la Ville revient aux juges de paix. Puis quatre ans plus tard, il est écarté de son poste d’inspecteur des chemins. Ses accointances familiales ainsi qu’un certain mauvais entretient des rues de la ville auraient joué en sa défaveur.

Qu’à cela ne tienne, en 1834, il préside le premier banquet de la Société Saint-Jean-Baptiste. Nous sommes à l’aube de la Rébellion de 1837-1838. Bien qu’il ne jouera aucun rôle durant ces troubles politiques, il se portera à la défense de Ludger Duvernay lors de son emprisonnement en 1836. Puis en 1858, quelques mois avant sa mort, il fondera avec quelques collaborateurs la Société historique de Montréal.

En guise de conclusion, comme nous le disions plus haut, cet homme aux multiples facettes conjugue l’action, les travaux savants et la curiosité de l’érudit au service de sa société. Il mérite amplement d’être mieux connu particulièrement par les Montréalais.

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(Une présentation sommaire de Jacques Viger dans le cadre de Chronique Montréalité sur MA.tv)

 

 

(Jacques et Marguerite Viger. Une correspondance de guerre/1812-1813)

 

(Un document de Jacques Viger en tant qu’inspecteur de la cité et de la paroisse de Montréal datant de 1825). (Archives de Montréal).

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BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

BEAUDOIN, Léo et Renée BLANCHET, Jacques Viger, une biographie (suivi des lettres de Jacques et Marguerite 1808-1813), Coll. Études québécoises, VLB, Montréal, 2009. (272 pages).

 

 

JEANNE MANCE (1606-1673)

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(Image classique de Jeanne Mance. Bibliothèque et Archives nationales du Québec/52327/1956775)

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(Signature de Jeanne Mance. Archives de Montréal)

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(La Pointe-à-Callière avec emplacement du premier Hôtel-Dieu. Archives de Montréal)

141023_vg4ar_cptt-hugo-lavoie_sn635 Maison de Jeanne Mance

(La maison familiale de Jeanne Mance aujourd’hui. 11 rue Barbier d’Aucourt (Langres). Anciennement rue de l’Homme Sauvage. Source: ICI Radio-Canada Première. Hugo Lavoie, émission C’EST PAS TROP TÔT, 23 octobre 2014)

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Jeanne Mance nous est connue d’abord comme fondatrice et administratrice du premier hôpital de Montréal à savoir l’Hôtel-Dieu (1645) puis depuis quelques années comme co-fondatrice de Montréal avec Maisonneuve. Jeanne Mance est née à Langres (France) le 12 novembre 1606 et meurt à Montréal le 18 juin 1673 à l’âge de 66 ans. Puisqu’elle faisait partie de la première recrue de colons de 1642, c’est pendant trente et un de sa vie qu’elle fut administratrice de l’Hôtel-Dieu. C’est sous le patronage et le soutien financier d’une riche veuve ayant gardée l’anonymat à l’époque mais connue plus tard comme étant Mme De Bullion que Jeanne Mance a reçu le « mandat » de faire bâtir un Hôtel-Dieu dans la nouvelle colonie. L’on convient tout de suite, qu’un tel bâtiment qui permettra de soigner, guérir et soulager non seulement les colons mais aussi les Amérindiens du territoire est indispensable. La fondation d’une colonie et sa pérennité et particulièrement d’un Hôtel-Dieu a nécessité des allers-retours récurrents pour Jeanne Mance et Maisonneuve. En effet, l’infirmière-administratrice a dû faire la navette à trois reprises entre Ville-Marie et Paris (1649-1650; 1658-1659; 1662-1664). Considérant la pénibilité des conditions de voyage cela mérite respect. Mlle Mance meurt, comme on disait à l’époque, en odeur de sainteté le 18 juin 1673.

Il importe de signaler que sa cause de béatification a été introduite, il y a déjà très longtemps soit en 1959 dans l’Archidiocèse de Montréal et que tout récemment soit le 7 novembre 2014, l’actuel pape François a donné l’autorisation à la Congrégation pour la cause des saints de promulguer le décret de reconnaissance des vertus héroïques de Jeanne Mance afin qu’elle soit reconnue vénérable, première des trois étapes menant à la canonisation.

Au plan civil, la fondatrice de l’Hôtel-Dieu est désormais reconnue officiellement par la Ville de Montréal comme co-fondatrice à l’instar et à l’égal de Maisonneuve (17 mai 2012).

Précédemment, elle fut désignée personnage historique national le 15 juillet 1998 par la Commission des lieux et monuments historiques du Canada. Puis encore plus récemment soit le 17 mai 2013 elle fut reconnue personnage historique par le Ministère de la Culture et des Communications du Québec.

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BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE RECOMMANDÉE

DAVELUY, Marie-Claire, Jeanne Mance, Fides, Montréal, 1962.

DEROY-PINEAU, Françoise, Jeanne Mance, de Langres à Montréal, la passion de soigner, Bellarmin, Montréal, 1995.

DOLLIER, DE CASSON, Histoire de Montréal, Eusèbe Sénécal, Montréal,1871.

FAILLON, Michel, Vie de Mademoiselle Mance et histoire de l’Hôtel-Dieu de Ville-Marie en Canada, Paris, 1854.

 

LIENS UTILES:

http://museedeshospitalieres.qc.ca/accueil/

http://www.jeanne-mance.fr/