(Un moment de grands palabres. Illustration: Francis Back)
(Montréal en 1700. Illustration: Francis Back)
(Extrait de la copie du traité de la Grande Paix de Montréal 1701)
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La Commission de Vérité et Réconciliation du Canada a déposé son rapport final le mardi 15 décembre 2015 et nous exhorte de revoir de fond en comble les relations entre le Canada et les nations autochtones. Ici, il faut comprendre le Canada dans ses différentes entités gouvernementales et politiques à savoir les provinces, les territoires et les municipalités.
Mais c’est surtout un appel à refonder les relations ancestrales et contemporaines entre les autochtones et les allochtones que nous sommes. Le nouveau gouvernement fédéral en la personne du nouveau premier ministre Justin Trudeau s’est déjà commis à honorer et à mettre en application les 94 recommandations de la Commission.
Le défi de cette grande refondation des relations séculaires entre autochtones et allochtones basée sur la justice et l’égalité devrait à notre avis s’inspirer de la Grande Paix de Montréal de 1701 qui a permis l’établissement d’une période de paix pendant près de cinquante ans non seulement entre les colons français de l’époque et les différentes nations amérindiennes mais cette Grande Paix fut aussi le moment d’un grand apaisement entre les nations amérindiennes elles-mêmes.
Afin de prendre la mesure de l’importance de ce projet de traité de paix, il nous faut faire un bref détour par l’histoire. L’on sait le lien ambivalent et alambiqué que Cartier dès son deuxième voyage (1535) entretenait avec Donnacona, le chef huron de Stadaconé sans oublier leur défiance mutuelle. Mais dès ce premier contact entre l’explorateur maloin et une tribue amérindienne, l’on sut que la nation huronne-algonquienne était en brouille avec la nation iroquoise.
Du temps de Samuel de Champlain (1604-1635) soit quelques 75 ans plus tard, les guerres et escarmouches inter-amérindiennes persistent et prennent de l’ampleur. Il faut admettre que la confédération des Cinq-Nations iroquoises voyaient d’un très mauvais oeil, le soutien de Champlain à son ennemi héréditaire qu’était les Algonquiens. Mais cela n’a pas empêché en 1624 la conclusion d’un petit traité de paix entre les Cinq-Nations et les Français. Malheureusement, moins de trois ans plus tard, les Algonquiens, alliés « naturels » des Français ont saboté ce temps d’accalmie.
Toute la première période de l’établissement de la colonie de Ville-Marie (1642-1665) a vu alterner des périodes de grandes hostilités de la part des Iroquois envers les colons. Mais à la fin du XVIIème et début du XVIIIème, nous sommes loin de l’épopée mystique des premiers fondateurs.
En 1701, la petite bourgade fortifiée de Montréal, selon l’analyse des recensements de 1683 et 1715, amène à conclure approximativement le nombre d’habitants pour la ville à 1 200 âmes et 4 700 pour l’ensemble de l’île. On compte quelques 185 bâtiments à l’intérieur de l’enceinte fortifiée s’étendant sur plus de 2800 mètres.
Après les deux mandats désastreux de LaBarre (1682-1685) et Denonville (1685-1689) comme gouverneur de la Nouvelle-France, vivement le retour de Frontenac pour apaiser la situation. La méconnaissance des moeurs amérindiennes et des manières amérindiennes d’établir des relations « diplomatiques » avec l’étranger avait conduit LaBarre et Denonville à non seulement exacerber le contentieux avec les Iroquois mais comble de malheur a irrité au plus haut point ses alliés autochtones.
Maniant le bâton et la carotte, en bon stratège et en bon connaisseur des amérindiens, Frontenac réussit à rétablir les ponts et la confiance. À défaut de pouvoir ramener un semblant de paix, Frontenac doit se résoudre à au moins neutraliser les plus guerriers des Iroquois (campagnes militaires de 1693 et 1698).
Malheureusement, Frontenac n’aura pas le temps de consolider son plan de paix. Il meurt en 1698. Qu’a cela ne tienne, il aura un digne successeur en la personne de Louis-Hector de Callière qui était depuis 1684 gouverneur de Montréal et qui deviendra officiellement gouverneur de la Nouvelle-France le 20 avril 1699.
Louis-Hector Callière (1648-1703), troisième gouverneur de Montréal et douzième successeur de Champlain est l’homme de la situation bien qu’il n’ait que 38 ans. Sans dire que les rapports étaient toujours facile avec Frontenac, les deux hommes ont eu assez d’estime et de respect pour apprécier chez l’un et chez l’autre la même compréhension des enjeux de la situation de la colonie française surtout aussi face aux colonies anglaises d’Albany et de New York toujours en mal d’expansion territoriale afin de s’assurer du monopole du commerce des pelleteries.
C’est dans ce contexte historique et en ayant la fibre d’un grand diplomate s’adossant à une formation militaire rigoureuse et minutieuse que Callière mis un peu tout le monde à contribution. Il créa des petits groupes d’ambassadeurs (missionnaires jésuites, aventuriers, soldats) qui savaient se débrouiller dans les différentes langues autochtones. Ces ambassadeurs ont sillonné un vaste territoire qui s’étendait du bassin de la Baie James, au bassin des Grands Lacs et ce jusque dans la vallée du Mississipi.
Un traité préliminaire fut signé dès le 8 septembre 1700 avec plusieurs nations amérindiennes dont certaines de la confédération iroquoise. Ce n’était que le prélude à quelque chose de plus ambitieux. En effet, à partir de cette première réussite, le gouverneur Callière s’active afin de rallier toutes les nations amérindiennes foulant le sol de l’Amérique du nord.
L’on commence à parler d’un grand rassemblement à l’été 1701, du 24 juillet au 4 août pour être plus précis. Un grand congrès pour la paix se tiendra à Montréal, la petite bourgade fortifiée, au pied de la Pointe-à-Callière et le long d’une partie du Saint-Laurent. Les délégations amérindiennes arrivent l’une à la suite de l’autre tout au long du printemps 1701.
Pendant une dizaine de journées, 38 délégations amérindiennes plus de 1300 personnes. Le ballet diplomatique se met en branle. Callière en fin connaisseur et respectueux des manières amérindiennes de construire les liens et les alliances les adopte et s’en accomode. Le défi se décline en deux volets, convaincre les nations iroquoises des avantages de faire la paix, convaincre aussi ses alliés algonquiens de la justesse d’une telle paix.
La diplomatie est une science et un art qui se déploie concrètement et matériellement par le dialogue, la négociation, le marchandage, le compromis, parfois le tordage de bras, la ruse mais la ruse à bon escient s’entend. Tout cela mené avec intelligence, tact, finesse et doigté. Sans oublier la bonne volonté des protagonistes.
Et c’est ainsi que dans la foulée de la mort du célèbre chef huron-wendat, Kondiaronk, en plein pourparler de paix (3 août) suivi de funérailles grandioses, le traité de La Grande Paix de Montréal fut signé le 4 août 1701 par les représentants des 38 délégations amérindiennes et par le gouverneur de Montréal. Le dessin de l’emblême de chaque clan ou village faisant office de signature pour les délégations amérindiennes.
Nous avons fait ce bref détour par l’histoire de certains épisodes des relations souvent tumultueuses et parfois marquées par le souci du respect et de la rencontre afin que dans la foulée du rapport Vérité et Réconciliation, nous puissions tabler sur ce grand projet que fut la convocation d’une assemblée entre les nations amérindiennes et les colons français dans le cours des années 1700-1701.
À l’instar, de nos ancêtres respectifs, nous sommes convoqués à faire preuve de la même audace et de la même clairvoyance. On ne peut effacer le passé mais on peut y prendre appui afin de rétablir les liens de confiance et apprendre à partager le même territoire et les mêmes ressources. Et surtout à établir sur un meilleur socle la rencontre et la compénétration réciproque des us et coutumes de tous un chacun.
En 1611, Samuel de Champlain a reçu de la part des Hurons la ceinture de wampum en guise de rappel du lien et de l’alliance entre les deux peuples. Puissions-nous dans les prochains mois et les prochaines années commencer à enfiler les perles de coquillages en vue de la création d’une nouvelle ceinture de wampum qui scellera le début d’un renouveau dans les relations multi-séculaires entre les autochtones et les allochtones que nous sommes.
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BIBLIOGRAPHIE
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De Lagrave, Jean-Paul. « La paix de Callière », Cap-aux-Diamants: la revue d’histoire du Québec, no 29, 1992, p. 71.
L’auteur Gilles Havard y a consacré une part de ses recherches : La Grande Paix de Montréal 1701 et a participé aux commémorations et célébrations en 2001 à Montréal.
Félicitations pour les belles illustrations de Francis Bach !
Oui, effectivement, le nom de l’auteur Gilles Havard ne m’est pas inconnu. J’ai lu quelques recensions de lecture soit de sa part sur des publications ou des compte rendu de lecture à propos de ses ouvrages sur Erudit.org . Je verrai à les mettre à disposition des lecteurs et lectrices, sous peu, dans la section bibliographie ci-haut. Merci de votre commentaire. Gilles Guy, rédacteur de VMEx.