(Le drapeau franco-ontarien. Journal Le Reflet Témiscamien.)
(Une affiche de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario)
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» Mais je dois informer les honorables membres que quand même la connaissance de la langue anglaise me serait aussi familière que celle de la langue française, je n’en ferais pas moins mon premier discours dans la langue de mes compatriotes canadiens-français, ne fut-ce que pour protester solennellement contre cette cruelle injustice de l’Acte d’Union qui proscrit la langue maternelle d’une moitié de la population du Canada. Je le dois à mes compatriotes, je le dois à moi-même ».
– Louis-Hippolyte La Fontaine
Il en fut ainsi au Parlement de l’Union en ce 13 septembre 1842, où Louis-Hippolyte La Fontaine, premier ministre du Canada-Est, faisant fi de l’interdiction de l’usage du français répondit promptement au député de Toronto (Ontario) qui lui intimait de parler en anglais. C’est par un acte de désobéissance civile, qu’il entama son mandat de premier ministre. Peu importe, le jugement que l’on peut porter sur l’ensemble de l’oeuvre de l’homme, il n’en demeure pas moins que ce discours en français s’apparentant à un crime de lèse-majesté peut continuer à nous inspirer à promouvoir et défendre la langue de nos aïeux comme disait l’autre.
Ce petit détour par l’histoire ouvre la porte à notre sujet d’article. C’est inimaginable comment parfois l’actualité politique peut nous rattraper par la porte d’en arrière alors que l’on surveillait la porte d’en avant. En effet, il y a quelques semaines, la journaliste Denise Bombardier, dans le cadre d’une émission télé (TLMP), eut la maladresse de parler des communautés francophones du Canada comme étant presque disparues et soutenant avec raison que les Métis du Manitoba ne parlaient plus le français.
Il n’en fallait pas plus, pour faire réagir les porte-parole autorisés de ces communautés. Le président de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada, Jean Johnson s’est dit étonné de ce genre de propos. tandis que le président de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick a poliment invité Madame Bombardier à venir participer au prochain tintamarre le 15 août prochain à Caraquet afin de constater de la vitalité des communautés francophones et particulièrement du peuple acadien.
Comme les Québécois devrait le savoir, les communautés francophones sont très chatouilleuses voire même susceptibles lorsque les Québécois portent un jugement sur leur situation numérique et linguistique. C’est qu’au fait, il nous faut savoir distinguer les malheurs subis par ces communautés par des lois restrictives au plan linguistique et la relative vitalité qui ne se dément pas depuis au moins une trentaines d’années.
On le sait un grand malentendu s’est installé entre le Québec et nos compatriotes francophones du Canada surtout depuis la fin des États généraux du Canada français tenus entre 1966 et 1969. Pour résumer sommairement ces États généraux, disons simplement, qu’au terme des grands palabres qu’offrent toujours ce genre de grande assemblée, il y fut tenu un vote sur une résolution à trois volets qui stipulait premièrement que les Canadiens français formaient une nation; deuxièmement que le Québec était en quelque sorte le foyer national de cette nation et que finalement la nation canadienne française avait le droit de disposer d’elle-même et par conséquent de choisir son régime politique.
Cette résolution en trois volet fut très clivante. Si les délégués du Québec (98%), de l’Acadie (52%) et de la Colombie-britannique (59%) ont voté en faveur selon des proportion différentes, l’Ontario (55%), la Saskatchewan (63%), l’Alberta (68%) et le Manitoba (74%) furent nettement en défaveur.
C’est ainsi que mourut le projet et le rêve d’une grande nation canadienne française en Amérique tel qu’entretenu par des hommes comme Henri Bourassa et Lionel Groulx. C’est ainsi que le Canada français s’est fractionné. Le Québec donna naissance officiellement aux Québécois, et les minorités francophones des autres province de la Confédération sont devenues franco-albertaines, franco-manitobaines, franco-ontariennes. Et, les Acadiens sont demeurés Acadiens.
Cette semaine le gouvernement conservateur orangiste de l’Ontario de Doug Ford a annoncé, sans crier gare, l’abandon définitif du projet d’une Université francophone mettant fin aux subventions envisagées ainsi qu’à l’abolition du Commissariat aux services en français pour transférer une partie de son travail au bureau de l’ombudsman de l’Ontario. Tout cela afin de réduire le déficit abyssal de 15 milliards de dollars du gouvernement.
Les franco-ontariens ont déjà joué dans ce genre de film d’économie de budget. En effet, il y a une vingtaine d’années lorsqu’un autre gouvernement conservateur de tendance orangiste décida, sous couvert de faire des économies, de fermer le seul nous répétons une deuxième fois, le « seul » hôpital universitaire francophone en Ontario de l’époque à savoir l’hôpital Montfort. Heureusement, il y eut une levée de boucliers suivi d’un long combat médiatique et surtout judiciaire. En 2001, Montfort obtenait gain de cause en Cour d’appel de l’Ontario. Et, en 2005, un nouveau gouvernement, issu du parti libéral de Dalton McGuintey revint au statu quo.
Nous vous parlions en tout début d’article de l’actualité qui s’inscrivait dans le temps long de l’histoire. Il en est ainsi du sort des minorité francophones du Canada. En effet, pour bien prendre la mesure de ce qui se passe en Ontario gouvernée par des oranges bleus, il faut remonter ou si vous préférez il faut reculer au fameux Règlement XVII édicté par le gouvernement orange bleu de l’époque.
Le Règlement XVII qu’on peut situer dans la foulée des lois linguistiques restrictives qu’avait connues les provinces de l’ouest du Canada en 1896 et 1905 peut se résumer ainsi: lors de l’entrée scolaire les gamins de six à sept ans pouvaient bénéficier d’un enseignement en langue maternelle française avec apprivoisement des premiers rudiments de l’anglais. Et, dès la 2è/3è années de classe tout devait se dérouler en anglais. Une manière plus ou moins subtile de procéder à l’extinction culturelle du fait français en Amérique britannique.
La crise du Règlement XVII qui perdura de 1912 à 1927 fut, en quelque sorte, l’événement fondateur de l’identité des franco-ontariens. C’est dans la foulée de ce conflit que naissent les différentes institutions franco-ontariennes les plus représentatives des francophones de l’Ontario. On n’a qu’à penser au journal Le Droit des Oblats du père Charlebois. De l’Association canadienne-française d’éducation de l’Ontario (ACFEO) dont l’idée remonterait à un projet qu’avait en tête le père Émile David, o.m.i., de l’Université d’Ottawa qui dès 1908 rêvait d’une assemblée de tous les canadiens-français de l’Ontario.
Par ce type de lois restrictives en matière scolaire, le gouvernement conservateur orange bleu pouvait ainsi se préserver l’appui des extrémiste anglo-protestants que l’on retrouve aisément au sein des loges orangistes ontariennes mais aussi des anglo-catholiques, oui, oui, vous avez bien lu des anglo-catholiques et particulièrement, de l’épiscopat irlandais avec à sa tête, l’évêque de London en la personne de Mgr Michael Francis Fallon.
Le reproche fondamental fait à la clique épiscopale irlandaise ontarienne menée par Mgr Fallon et par une bonne partie du clergé irlando-catholique est à l’effet que ceux-ci menaient une guerre sourdre aux franco-ontariens en cherchant à établir la suprématie de la langue anglaise à l’intérieur de l’Église catholique de l’Ontario.
Mais ce conflit scolaire quoique local ne put s’empêcher de déborder les frontières de l’Ontario puisqu’une attaque contre une partie des Français d’Amérique devait ameuter tout le Canada français de l’époque. Il ne faut pas oublier mais plutôt se rappeler que le Québec du premier tiers du XXè siècle était en pleine effervescence nationaliste et patriotique consécutive à notre opposition à la guerre des Boers et au premier conflit mondial et la crise de la conscription qui s’en est suivi.
C’est l’époque de Henri Bourassa, grand orateur, homme politique et fondateur du journal Le Devoir (1910) et du chanoine Lionel Groulx qui dès 1915 tiendra la première chaire d’histoire du Canada à la Faculté des Arts de l’université de Montréal alors une succursale de l’Université Laval. S’ajoute à ces deux illustres personnages, Olivar Asselin, journaliste et président de la Société Saint-Jean-Baptiste-de- Montréal ). Sans oublier que ce conflit ne laisse pas indifférent le cardinal Bégin (archevêque de Québec) ainsi que Mgr Bruchési (archevêque de Montréal).
Pour Lionel Groulx qui se veut le chantre du Canada français partout où il se trouve en Amérique du nord, le conflit linguistique ontarien sonne le réveil de la nation canadienne-française. En ajoutant à cela la crise de la conscription de 1917, on se retrouve avec un cocktail explosif permettant une prise de conscience de l’identité nationale canadienne-française.
En effet, pour Groulx, chaque combat nationaliste et patriotique sont une manière de refuser les affres de la Conquête de 1760 et de la Cession (Traité de Paris) d’un territoire et d’un peuple à un empire britannique. Groulx entretenait de nombreux contacts avec les chefs de la résistances franco-ontarienne et il était souvent sollicité pour ses judicieux conseils. Mais il avait, tout de même, pour prémisse une maxime qui pouvait se résumer ainsi en non ingérence mais non indifférence. Tien, tiens.
De ces chefs de file locaux du combat ontarien, il y eut deux illustres sénateurs, l’un venant des rangs conservateurs et l’autre du parti libéral. D’abord le sénateur Philippe Landry suivi du sénateur Napoléon Belcourt qui furent successivement président de l’ACFEO.
Au moment où éclate la crise causée par le Règlement XVII, le sénateur Philippe Landry était alors président du Sénat canadien. À l’âge vénérable de soixante-dix ans, Landry décide de quitter le confort de la présidence du Sénat afin d’avoir les coudées franches et libres de toutes attaches, il accepte la présidence de l’ACFEO afin de mener le combat.
Lorsque celui-ci mourut à l’âge de 74 ans, les funérailles furent présidées par le cardinal Bégin et l’éloge funèbre lu par Mgr Latulipe lequel pour valoriser l’action du défunt eut des mots dures pour le gouvernement ontarien de l’époque. « On édicta contre nos écoles un règlement attentatoire aux droits des pères de famille,attentatoire à la vie de notre race, et quoique d’une manière indirecte, pareillement attentatoire aux droits de notre sainte religion» (Mgr Latulipe, Oraison funèbre).
Qu’en est-il maintenant? Que nous faut-il faire? Doit-on réagir comme Québécois ou comme Canadien-français. Peut-on additionner les deux statuts et réagir comme Québécois et comme Canadien-français sans démériter? Peux-ton revêtir les oripeaux de notre origine canadienne-française pour se faire solidaire de nos frères et soeurs de « race » comme on disait à une certaine époque?
Sans ingérence indue mais surtout sans indifférence, nous considérons que le gouvernement de l’État québécois, foyer principal et indiscutable du groupe ethno-culturel canadien-français en terre d’Amérique du nord depuis le XVIIè siècle et membre à part entière de l’Organisation internationale de la francophonie ne peut se défiler.
L’État du Québec doit fournir son support financier et organisationnel à l’Assemblée des francophones de l’Ontario (AFO) selon les paramètres que celles-ci demande dans une optique de non ingérence non indifférence. Il faut profiter de cette occasion pour rebâtir les ponts entre toutes les francophonies d’Amérique. Il est vain et inutile de faire partie de l’Organisation internationale de la francophonie même sans Madame Jean si nous sommes eunuques quand un morceau important de la francophonie de l’Amérique française nous interpelle. La francophonie internationale ce n’est pas juste l’Afrique de la Françafrique mais c’est aussi la francophonie d’Amérique.
« Le Québec a charge d’âmes » disait à propos le chanoine Groulx, en février 1921 dans l’Action française. Alors qu’est-ce qu’on attend pour prendre charge d’âmes?
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